Zach Redmond

Le jeu des probabilités

Quand on a dû réapprendre à marcher à l’âge de 15 ans et qu’un coéquipier nous a sauvé la vie à notre première saison dans la LNH, on serait tenté de dire qu’une lutte pour un poste à la ligne bleue du Canadien est devenue secondaire.

Mais Zach Redmond n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort. Il préfère mettre de côté les épreuves surmontées et s’attarder à sa mission immédiate, celle de se battre pour sa place dans la Ligue nationale.

« Parfois les joueurs n’ont pas envie de ressasser ce genre d’événement, mais c’est une grande partie de ce qu’il est aujourd’hui », observe le gardien Al Montoya, qui était aux premières loges, le 21 février 2013, pour assister à la scène qui a failli coûter la vie à Redmond.

« C’était horrible, se souvient Montoya, qui portait à l’époque les couleurs des Jets de Winnipeg. Nous étions à la fin de l’entraînement et des joueurs qui ne jouaient pas ce soir-là faisaient un exercice derrière le filet. L’attaquant [Antti Miettinen] a essayé de le contourner depuis l’arrière du filet et la lame de son patin a touché à sa jambe. Reds est tombé dans mon demi-cercle. »

La lame est passée à travers le pantalon de Redmond et a fait une profonde entaille dans sa cuisse droite. L’artère fémorale et la veine poplitée ont été sectionnées, et le sang s’est mis à gicler abondamment. En quelques secondes, Redmond baignait dans une mare rouge.

« On s’est regardés un instant sans trop savoir quoi faire, se souvient Montoya. Notre coéquipier Anthony Peluso – le sauveur – a réagi sans même y penser. Il est retourné au banc chercher une serviette et l’a mise sur sa jambe en exerçant une pression. Il lui a sauvé la vie. »

— Al Montoya

Pendant que Peluso tentait de contenir la blessure, l’entraîneur adjoint Perry Pearn nouait son blouson autour de la jambe de Redmond.

« Il a perdu beaucoup de sang [entre un litre et un litre et demi] et son cœur en arrachait, avait raconté à l’époque le thérapeute des Jets Rob Milette au Winnipeg Free Press. On surveillait ses signaux vitaux et son pouls était très faible et très lent. Il était pâle… »

Alors qu’il luttait pour ne pas perdre connaissance, Redmond a dit à Milette qu’il avait soif. C’était un signe indéniable de la grande quantité de sang qu’il avait perdue.

Mais il suffisait de voir le devant du filet pour en avoir une bonne idée.

« Je n’ai jamais vu autant de sang de toute ma vie, confirme Montoya. On nous a dit que quelques minutes de plus et ç’aurait été horrible… »

Malgré l’urgence de la situation et le suivi médical qui a été nécessaire par la suite, Redmond a été en mesure d’effectuer un retour au jeu le 1er novembre.

« La résilience de Reds qui lui a permis de se remettre d’un tel incident a fait de lui quelqu’un de plus fort », estime le gardien de 31 ans qui se dit très heureux que leurs parcours respectifs se soient à nouveau croisés à Montréal.

DES SEMAINES SANS MARCHER

Mais ce n’était même pas la première fois que Redmond se demandait s’il jouerait de nouveau. Car à l’âge de 15 ans, il avait été victime d’une forme d’accident vasculaire cérébral, appelée « accident ischémique transitoire », qui avait laissé ses parents transis de peur.

« Au départ, en raison de la gravité de l’accident, les chances que je ne puisse plus jouer étaient de 50-50, raconte Redmond. Mais ça n’a pas été aussi mal qu’on peut le croire. Mes facultés du côté droit me sont graduellement revenues : j’ai pu recommencer à lever mon bras, puis recommencer à marcher, puis à écrire, puis à manier le bâton…

« Tout est revenu assez rapidement, et je n’ai perdu aucune fonction. »

Deux mois plus tard, il était de retour sur la glace, sans plus jamais entretenir de doute sur la suite des choses.

La route de Redmond l’a ensuite mené dans la USHL et à l’Université d’État Ferris. Il était déjà à la fac quand les Thrashers d’Atlanta, en 2008, en ont fait leur choix de 7e tour.

Compte tenu du fait que c’est Rick Dudley, l’un des adjoints de Marc Bergevin, qui lui a fait signer son premier contrat professionnel avec les Thrashers, se pourrait-il que Dudley ait eu un bon mot à son égard au moment où le Tricolore lui a tendu la main, le 1er juillet ?

« Je ne pense pas que ça ait nui, sourit Redmond. Je ne saurai jamais vraiment quel rôle il a joué dans tout cela, mais j’imagine qu’il a eu son mot à dire. »

IL MÉRITAIT MIEUX

Après trois saisons passées dans l’organisation des Jets, Redmond a signé un contrat de deux ans avec l’Avalanche du Colorado. Sa première saison là-bas – marquée d’une récolte de 20 points en 59 matchs – a été sa meilleure jusqu’à maintenant.

« Il aurait mérité de jouer plus que ça parce que c’est un défenseur très polyvalent qui est bien meilleur que ce que j’aurais d’abord cru », estime Daniel Brière, qui jouait lui aussi au Colorado il y a deux ans.

« À vrai dire, Zach m’a impressionné. Il est très bon pour sortir la rondelle de la zone défensive. Il suit très bien le jeu et n’hésite pas à appuyer l’attaque. »

— Daniel Brière

Brière salue le fait que, dans sa situation de 6e, 7e ou 8e défenseur, Redmond ne s’est jamais plaint de son sort.

« Dans bien des équipes, les défenseurs de profondeur sont plus souvent des gros gars défensifs plutôt que des joueurs comme lui, rappelle l’ancien attaquant vedette. C’est peut-être pour ça qu’il n’a pas eu sa chance. Mais si le Canadien devait perdre Andrei Markov ou Nathan Beaulieu pour une certaine période, c’est le genre de gars qu’il va être bon d’avoir aux alentours.

« Soyons réalistes : il ne sera pas l’un des trois premiers défenseurs d’une équipe. Mais il peut rendre de très bons services à l’organisation. Ça pourrait s’avérer une très bonne signature de Marc Bergevin. »

UN SYSTÈME CLAIR

Redmond, lui, reconnaît très bien la situation dans laquelle il se retrouve aujourd’hui.

« C’est difficile, le scénario se répète chaque année, confiait le défenseur après le match de jeudi. Mais ma façon de me distinguer, c’est en appuyant l’attaque. C’est clair que je dois gagner la confiance de mon entraîneur sur le plan défensif – parce que c’est de cette façon que je vais pouvoir rester ici –, mais mes aptitudes offensives peuvent m’apporter un élément de plus. C’est de cette manière que j’essaie de ressortir un peu plus. »

Au Colorado, l’an dernier, Patrick Roy avait perdu patience avec Redmond, irrité par ses revirements en zone centrale et son jeu parfois nonchalant. L’échantillon est petit, mais on n’a rien vu de tel à ses deux premiers matchs préparatoires avec le Canadien.

« J’espère que le système de jeu ici conviendra davantage à mon style. Le système est clair, tout est clair. C’est rafraîchissant pour moi d’avoir ce nouveau départ. »

Quelles sont les chances de Zach Redmond de damer le pion à un Mark Barberio, par exemple, et d’amorcer la campagne à Montréal ?

Disons qu’elles sont de 50-50.

Des probabilités auxquelles il est habitué.

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